a la rencontre des colanceurs

écouter cet épidode

En route pour Cherbourg

 

C’est après ma curieuse rencontre avec Stephan au cœur de l’est de la France, dont l’article et le podcast sont accessibles ici, que je rejoins la côte Ouest.

Depuis Paris et par voie ferroviaire,  je m’élance donc vers Marianne qui s’est installée dans le Cotentin depuis plusieurs décennies.

Mes liens virtuels avec Marianne s’ancrent dans la communauté Colancing.

Ils sont déjà solides et ponctués de nombreux échanges avant ces quelques jours à  partager ensemble dans la vie réelle.

Je découvre, au cours de nombreuses balades, chaleureusement guidée par mon hôte, un environnement côtier presque insulaire. La présence des ports qui représentent à la fois les points de départ et d’arrivée d’expéditions au long cours.

Je suis surprise de l’exotisme végétal de ce lieu septentrional dont les embruns dégagent des saveurs d’Outre-Manche et de contrées encore plus lointaines.

Aussi, comment ne pas remarquer ces nombreuses traces du passé, notamment, les drames du 20 ième siècle, qui parsèment plus ou moins discrètement les sites visités ?

C’est une bonne entrée en matière pour aborder Marianne avec ses multiples ancrages culturels, ses voyages et le profond intérêt qu’elle accorde à l’histoire.

35 ans de carrière comme médecin et enseignante universitaire

Après une enfance et adolescence « transplantées » d’un pays, d’un continent et d’une langue à l’autre, elle trace péniblement une ligne assez droite jusqu’à l’obtention du titre de médecin.

Elle ne se sent pas intimement reliée à ces études et éprouve un sentiment de rébellion à l’encontre de certaines pratiques et visions de ce milieu hospitalier universitaire, lieu privilégié de l’enseignement de la médecine à cette époque. Ce qui la fascine, elle, c’est l’humain dans sa globalité.

Sa pensée s’est clairement structurée sur cette dimension humaine plutôt que sur celle, exclusivement technique, des modèles « anatomocliniques ».

Sa thèse obtenue assez rapidement, elle va participer à des missions humanitaires en tant que simple médecin puis coordinatrice de programmes de santé communautaire, à plusieurs endroits du globe.

Ces expériences seront fondatrices pour sa pensée et sa pratique médicales.

Une période heureuse qu’elle décrit comme « sa véritable école », celle où elle apprend en faisant sur le terrain.

Désoeuvrée lors d’une période de transition entre deux missions à l’étranger, elle postule à un emploi de « faisant fonction d’interne » à l’hôpital de Cherbourg.

Elle est alors âgée d’une trentaine d’année et rencontre celui qui allait devenir le père de ses deux enfants.

Contre toute attente, Marianne se sédentarise sur ce bout de territoire qui devient son point d’ancrage.

Elle y fonde, notamment, le premier centre de consultation régionale pour patients alcooliques puis son propre cabinet médical en même temps que son foyer.

A cette époque, être médecin généraliste, c’est accompagner les patients tout au long des différentes étapes de leur vie puis celle de leurs enfants. A ce propos, Marianne parle de la chance d’avoir pu être à un tel poste d’observation de la société.

C’est donc à proximité de la Manche, qu’elle va exercer une palette de fonctions et couvrir des dimensions très différentes dans le monde du soin pendant 35 ans.

Celles-ci prennent la forme de collaborations au sein d’organisations nationales ou européennes militant pour une structuration des soins plus égalitaire et sociale.

La transition vers un autre modèle d’activité encore balbutiant

Quelques années avant de quitter le système de santé, Marianne se met à réfléchir différentes formes à expérimenter en terme de soutien à l’évolution de la personne.

Elle explore le domaine du digital et entreprend une série de formations à différents types de coaching (entreprise et coaching de vie). Elle se concentre également sur des orientations de psychothérapie, principalement autour des thérapies existentielles et systémiques.

Le questionnement singulier que nous pose Marianne, à mes yeux, serait le suivant.

Arrivée à un tel endroit de son parcours, munie de compétences et d’approches si diverses,  jusqu’où déployer des efforts et de l’énergie pour s’adapter aux modèles de travail contemporains ?

Quel rôle jouer à son stade ? S’agit-il d’observer et de comprendre les transformations sociales ou chercher encore à être actrice ?

Le parcours de Marianne et ses spécificités  :

Marianne est une de ces femmes à qui on a envie de rendre hommage.

Son degré de vulnérabilité, lorsque je la rencontre, ne fait pas ombrage à la force et détermination dont elle a fait preuve en ouvrant la voie à d’autres femmes pour exercer des mission d’importance en tant que consultante, dirigeante, coordinatrice…

Il y a 35 ans de cela, ce n’était pas une évidence d’assumer une posture de femme dans un monde d’homme.

Elle en a peut-être payé le prix, entre autre, en matière de santé. 

Quoiqu’il en soit, elle interrompt sa carrière universitaire suite à un violent conflit l’opposant à un des doyens de la faculté et cesse son activité en cabinet en raison de divergence de points de vue avec certains de ses associés.

Elle évoque le dernier acte de sa carrière médicale comme un baisser de rideau un peu précipité sur fond de burn-out.

C’est donc avec tristesse mais sans amertume qu’elle quitte sa place, chèrement acquise.

Marianne avait construit cette place singulière sur la base du constat de l’absence de formation spécialisée en médecine générale et de réflexion sérieuse visant à améliorer la qualité des soins.

Elle a alors dédié une partie de son énergie à combler cette lacune avec une préoccupation constante autour de la relation de soin avec ses patients. 

Aujourd’hui en pleine reconstruction, elle réinterroge les pistes à poursuivre dans une continuité de la relation d’aide.

Marianne, toujours soignante mais plus médecin, chemine vers la partie finale de son parcours professionnel. Elle le souhaite cohérent avec ce qui précède et aligné avec ses potentiels et ses valeurs actuelles.

Les éclairages apportés par l’expérience de Marianne

Les nouveaux rapports au travail & L’identité d’entrepreneur

La question de l’entrepreunariat est loin d’être bouclée pour Marianne.

Elle ne peut s’empêcher de remettre en question ce monde et ses codes tout en éprouvant une curiosité et un intérêt à leur égard.

L’interrogation autour de son adaptation à ses nouveaux modèles se pose fréquemment.

Elle éprouve une difficulté à trouver pour elle-même l’accompagnement adapté.

Celui qui lui permettrait de rendre visible et cohérente sa proposition de psychothérapie-coaching tout en prenant en compte son expérience et son approche panoramique du soin.

En tous les cas, si elle trébuche sur les techniques de l’entrepreneur, elle partage une intéressante vision de la spécificité d’un leader, issue de sa propre expérience : c’est celui qui trouve pour les autres, les réponses qu’il n’a pas trouvé pour lui-même.

Le rapport aux données numériques

Marianne ne fait pas partie de la génération des Digital Native mais elle a poursuivi plusieurs formations en ligne pour s’initier aux méthodes et techniques d’entrepreneur, et ce avec plus ou moins de satisfaction jusqu’à présent.

Cela lui a quand même permis de créer un site web pour présenter son activité et préciser les spécificités de son intervention.

Elle imaginait, au départ, obtenir rapidement et facilement une audience internationale au vue de ses expériences. Constatant que les choses ne se déroulent pas ainsi, elle emprunte une autre stratégie. Elle se recentre au niveau local et s’appuie sur des professionnels de santé de son territoire comme relais pour rentrer en contact avec de nouveaux clients.

L’enjeu de l’identité numérique

Les réseaux sociaux ne sont pas des outils de communication que  Marianne utilise d’un point de vue professionnel.

Dans sa situation, le numérique passe surtout par la présentation d’elle-même et de ses activités via un format digital. Elle est en quête d’un positionnement pertinent et balbutie dans ses démarches.

Marianne pensait vendre son coaching à des patients via son site internet mais, pour le moment, ce support ne lui permet pas d’atteindre cet objectif.  

Elle a expérimenté l’écriture de nombreux articles de blog.

Les sujets sont foisonnants, elle s’intéresse à notion de vulnérabilité, la question du genre, le circuit du médicament, la relation corps-esprit, la responsabilité sociale dans le domaine de la santé,…

D’ailleurs, elle propose un parallèle intéressant entre les normes des publications scientifiques et le fameux S.E.O. (Search Engin Optimization) que l’on doit prendre en compte si on souhaite être référencé sur le web.

Dans sa conception, si elle se conforme au SEO, elle a l’impression que sa pensée s’appauvrit. Tout comme les règles en vigueur des publications scientifiques limitent ou influencent trop le contenu de ce qu’on publie. Elle y a donc renoncé, peut-être par paresse, ajoute-t’elle.

Le développement personnel

 

Je profite de l’expérience confirmée de Marianne dans le domaine de la santé pour l’interroger sur sa vision à propos de la quête de bien-être, cette tendance massivement observable de nos jours.

Elle est dérangée par le face à face entre les difficultés que les individus peuvent rencontrer (par exemple les problèmes d’addiction, de sommeil, de surpoids) et les tunnels de vente ou offres de coaching un peu agressive construits sur ces points ponctuels et fragmentés 

Elle se rend-compte que le reproche, justifié, de fractionnement fait à la médecine occidentale par rapport à d’autres types de médecine plus holistiques, peut également s’appliquer à l’encontre de ces nouvelles méthodes.

Elle ressent un décalage avec ces dernières qui fleurissent en ligne et ailleurs.

Pendant les années 2000, elle a vu arriver l’épidémie de Burn Out.

Un nombre considérable de personnes qui travaillaient au sein de grands groupes ont connu un épuisement intense et une déconnexion à eux-mêmes…

Elle même a été traversée par cette crise aux composantes multiples et aux causes multifactorielles. Elle en a d’ailleurs fait le sujet de son mémoire de formation en psychosociologie-coaching lors de sa reprise d’études avant de quitter la médecine.

Elle constate que de plus en plus de gens touchés par des souffrances, en particulier au travail, se sont mis à avoir envie de soigner les autres, à devenir coach, à vouloir accompagner d’autres gens à aller bien.

Selon elle, cela c’est effectué d’une manière brouillonne, rapide, en l’absence d’un socle suffisamment solide.

Alors que d’autres s’embarquent dans ce mouvement tête baissée, elle ne peut s’empêcher de l’interroger : est-ce que la solution aux problèmes qu’on rencontre est de soigner ceux des autres ?

Sachant que par ailleurs, il manque cruellement de médecins généralistes…

L’autre questionnement c’est qu’actuellement, on ignore ce que ces diverses méthodes de bien-être vont donner à moyen terme pour les usagers et leurs santé physique ou psychologique.

Peut-être son manque d’adhésion à ces nouvelles modalités explique-t’il ces tâtonnements dans son positionnement ?

Quelques jours en plongée dans le Cotentin et les passions de Marianne 

 

Marianne, comme tout un chacun, est loin de se réduire à son activité professionnelle passée ou présente.

Voilà une autre dimension saillante des parcours que mes RDV nomades mettent en lumière : la multiplicité des intérêts et passions qui nous nourrissent.

Il faudrait consacrer plus d’un chapitre à celles de Marianne autour desquelles elle a construit un savoir et une expérience assez impressionnants.

La danse et particulièrement le tango, les arts graphiques et textiles, la littérature et le cinéma, l’histoire française, européenne, juive, la méditation, les courants de psychothérapie, la botanique,…

La liste peut paraître dantesque mais elle résonne avec le surnom, ou plutôt l’expression qu’elle donnerait à son activité : « la porte est ouverte, la curiosité est mon moteur ».

Partagez sur vos réseaux sociaux